Coups de coeur : Du libraire chevelu

Lectures Nomades


… de mi-septembre 2016. Panorama rapide de mes lectures réjouissantes. Celles qui ne l’étaient pas, je les oublie ! Il y a aussi des albums que je n’ai pas lus !

enragedifferenceAlors tout enfant, Liam est attaqué par un chat des rues au Maroc. Les blessures sont profondes et le félin est porteur du virus de la rage. Une course contre la  montre s’engage pour sauver le garçon d’une mort certaine. Si les médecins réussissent à vaincre le mal, l’enfant devenu adulte en porte les stigmates. Oscillant entre rigueur médicale, témoignage d’une vie tourmentée par la maladie et passage d’hallucination, Nicolas Otéro plonge son récit dans les affres de la violence et des pulsions incontrôlables. N’y a-t-il pas un peu de vécu dans cette fiction ?

Confessions d’un enragé – Nicolas Otéro – éd.Glénat

Mal à l’aise dans sa vie quotidienne, Marguerite se sent en décalage avec le reste de la société. Pour rester dans la « norme », elle se force à être quelqu’un qu’elle n’est pas et à adopter des codes sociaux dans lesquels elle ne se reconnaît pas. En creusant en elle-même, l’évidence va apparaître, elle est atteinte du syndrome d’Asperger. Voici donc le récit autobiographique de cette jeune femme invisible. Nous organiserons en 2017 un événement autour de cet album.

La différence invisible – Julie Dachez, Fabienne Vaslet & Mademoiselle Caroline – éd.Delcourt

jourbusmedeeClémentine, elle-aussi, est un peu désemparée et essaye de trouver sa juste place dans notre société stressante. Elle pense qu’avec un coach au sein d’un groupe de dynamisation se sera mieux. Mais lorsque celui-ci l’oublie en rase campagne, elle va rencontrer des gens qui la mettront sur le chemin de l’harmonie. Album « feel good » sans prétention, il fait du bien au cœur et à l’âme sans imposer de morale. A lire calmement pour s’en imprégner, puis tout oublier. Sauf d’être serein.

Le jour où le bus est reparti sans elle – Beka, Marko & Cosson – éd.Bamboo

Nancy Pena et Blandine le Callet continuent la revisitation de la figure aussi terrible qu’envoutante de Médée. Avec ce quatrième tome, Médée, toujours auprès des Argonautes, s’affirme, prenant l’ascendant sur Jason, quitte à se salir les mains. Incontournable pour les amoureux des mythes si humains, et pour tous les autres lecteurs !

Médée T.4 – Nancy Pena & Blandine Le Callet – éd.Casterman

ralphteboriDans ce tome, Lewis Trondheim développe l’idée que le pouvoir corrompt inéluctablement. Ralph est à présent à la tête du royaume. Or il ne souhaite pas être corrompu. Doit-il abdiquer ? Installer des gardes-fous moraux ? Et lorsque le royaume est de nouveaux en danger, englué par les mensonges des uns et les ambitions des autres, peut-on laisser les innocents sans défense ? Que de questions… Bon et puis il y a de l’humour et de la baston aussi !

Ralph Azham T.9 – Lewis Trondheim – éd.Dupuis

Deuxième volume de ce thriller palpitant, dans le monde du tatouage et des yakuzas. Yoshi accompagne Otsuya dans sa quête d’obtenir des tatouages des plus grands maîtres. Toutefois, un pan de sa personnalité va être mis à nu. Dans cet avant-dernier tome (théoriquement), les auteurs de Ken Games apportent des clés supplémentaires sur « L’Impossible », créature qui apparaît à certains chefs de gang et dynamitent l’action.

Tebori T.2 – José Robledo & Marcial Toledano – éd.Dargaud

kamigaimancouvDans l’univers de Kami, les dieux et les hommes sont en symbiose : la vénération des derniers donnent de la puissance aux premiers. Nura est prêtresse auprès d’un dieu jadis majeur aujourd’hui oublié et donc proche de l’extinction. En apprenant que le duché voisin a besoin d’aide, Nura va s’y rendre pour que la résolution du problème apporte un peu de reconnaissance et donc de fidèles… Nous avons reçu Juliette Fournier le mois dernier vous pourrez donc trouver des illustrations sur notre site et notre FB.

Kami T.1 – Jean-Gaël Deschard & Juliette Fournier – éd.Jungle

Je ne m’attarde pas sur le Premier Meurtre et Shangri-La. Je ne ferai que paraphraser Gérald.… Bon allez si quand même : c’est génial !

Le Premier Meurtre – Neil Gaiman & John Craig Russel – éd.Delcourt

Shangri-la – Mathieu Bablet – éd.Ankama

shangrilacouvtopoVoilà enfin le chaînon manquant entre Groom des éditions Dupuis et la Revue Dessinée : Topo ! Magazine trimestriel à destination des ados, Topo décortique l’actualité et s’attarde sur des faits de société avec pertinence, pédagogie et fluidité. Armes à feu, youtuber, les sujets sont variés et traités par des experts. De là à vouloir redevenir ado, il n’y a qu’un pas !

Topo T.1 – Collectif – éd.La Revue Dessinée

Je vous fais cette lettre…

D’autres hommes de lettres

Les bandes dessinées sur le régime autoritaire (euphémisme de dictatorial) de Salazar sont rares. Alors lorsqu’elles sont de qualité, il faut sans sourciller se plonger dans ces albums !

2016_couvpereira4 » Pereira prétend » se déroule dans les premières années de la prise de pouvoir d’Antonio de Oliveira Salazar au Portugal. Ce dernier a instauré un gouvernement résolument anti-communiste, fondé sur un parti unique et ancré dans le catholicisme le plus dogmatique. Les arrestations sommaires et les exécutions expéditives sont légions. Dans cet ambiance liberticide, le personnage principal qui donne son nom à l’album est un veuf corpulent qui s’est peu à peu coupé des réalités du monde. Il a conscience que la société change et pas forcément avec plus d’humanisme. Mais il se complaît dans son quotidien bien huilé et dans la gestion de la page culturelle du quotidien principal le « Lisboa ». Toutefois, l’absence de son épouse lui pèse et il entretient avec elle des discussions d’outre tombe. Des questionnements sur l’après-vie trottent dans sa tête et c’est à cause d’elle que Pereira va rencontrer un jeune diplômé en philosophie, Monteiro Rossi. Pereira, quelque peu forcé par le destin (ou sa lâcheté), va lui confier l’écriture de quelques nécrologies de poètes et écrivains célèbres. Ce jeune homme va accepter bien vite. Cependant, celui-ci désinvolte, tumultueux et critique est aux antipodes des convictions de Pereira. Tout au moins le prétend celui-ci… Car de fil en aiguille, de rencontres en censures, de prises de conscience en reculades, l’engagement de cet homme simple dans un monde complexe va grandement évoluer.

pereira3ereiraIl y a très longtemps – à l’échelle éditoriale –  j’avais été étonné par la finesse narrative de Pierre-Henry Gomont dans « Catalyse » de feu les éditions Manolosanctis (la preuve ici). Depuis, il n’a pas chômé, multipliant les albums forts (Kirkenes, Rouge Karma, Les Nuits de Saturne). Dans « Pereira », son trait très expressif et ses couleurs plaquées abruptement sur son dessin marquent les hésitations du personnages, ses atermoiements, ses conflits intérieurs. Mais également la chaleur de Lisbonne, la chape de plomb de la police politique, l’air frais pour le corps comme pour l’esprit de la cure française. Adaptant seul le roman d’Antonio Tabucchi, Pierre-Henry Gomont se sert des récitatifs aux points de vue fluctuant pour nous tenir en haleine ou nous faire craindre le pire. Jusqu’à la conclusion, surprenante et pourtant tellement naturelle !

pereira-2« Pereira prétend » de Pierre-Henry Gomont aux éditions Sarbacane est à lire absolument. Vous y découvrirez un pays, une page d’histoire mais surtout les quelques semaines où la vie d’un homme va basculer.

 

Des mots, toujours des mots, les mêmes mots

cartes1carte2Rose Grenier adore les cartes postales. Elle en écrit et se les envoie pour garder une trace de la vie qu’elle mène. C’est grâce à cette correspondance atypique que le lecteur va suivre l’héroïne depuis l’abandon de la ferme familiale dans la rurale Gaspésie jusqu’aux lumières trompeuses de Montréal. Des années 50 aux années 70, Rose va s’agripper à son rêve de devenir une chanteuse renommée de jazz, comme une naufragée à sa bouée. Ballottée par les événements, épaulée par deux hommes qui vont devenir ses musiciens attitrés, elle va connaître la misère des maigres cachetons puis la gloire des tournées internationales…

Parallèlement, en France, Victor Weiss apprend qu’il est mort lors des attentats du 11 septembre 2001 à NY ! Ou plutôt que son frère jumeau est mort aux pieds du World Trade Center. L’ADN a parlé !  Lui, l’enfant adopté qui ne savait rien de sa famille biologique se retrouve avec un bien curieux héritage…

carte4On devrait toujours être attentif aux production québécoises (je me suis redis la même chose quelques jours plus tard avec  » Les Deuxièmes » de Zviane éd.PowPow). « La Femme aux cartes postales » est un album très bien écrit et rythmé. Il y a des trouvailles narratives que je trouve particulièrement malines et qui sauve l’album des autres productions insipides sur les mêmes thématiques. Je pense à l’insertion de ces fameuses cartes postales à des moments charnières du récit, apportant sans lourdeur son lot d’informations et de révélations. Plus particulièrement, l’enchaînement des pages 133 et 134 où tout est dit, il n’y a rien à ajouter. Le retournement de situation final où les deux intrigues se rejoignent n’est pas d’une innovation fulgurante mais est très habilement dramatisé et les dialogues – ou leur absence – l’étoffent efficacement. Jean-Paul Eid et Claude Paiement nous plonge dans le Canada artistique du siècle dernier avec profondeur et émotion dans ce bel album paru aux éditions la Pastèque. Que demander de plus ?

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La plume et l’épée

couvdelilah-2-727x1024dd2-001Quelle joie de retrouver l’impétueuse Delilah Dirk et le pondéré Selim dans de nouvelles aventures ! Toujours aussi pétillantes, les péripéties de cet improbable duo nous font voyager du Portugal (encore !) en pleine insurrection aux salons feutrés de la vieille Angleterre. Pour ceux qui ne se souviendraient pas de cette série – dont le premier tome avait été chroniqué ici – un petit résumé s’impose. Au tout début du 19ème siècle, le janissaire turc Erdemoglu Selim rencontre l’aventurière-voleuse-espionne Delilah Dirk alors en franche difficulté. Sa tête et son corps risquent de se séparer brusquement. Placé sous sa surveillance, elle parvient néanmoins à s’échapper. Selim est donc condamné lui aussi à être raccourci… Avant d’être sauvé in extremis par la jeune femme qui n’a peur de rien. Une folle épopée s’en suit alors où l’amitié et l’admiration prospèrent dans le coeur de l’ex lieutenant turc. Cinq ans se sont écoulés depuis leur dernières aventures et les conflits napoléoniens entre la France, l’Angleterre et les autres nations européennes font voir des espions et des traîtres dans les yeux de tous les états majors. A cause d’une perfide et infondée accusation, voilà que l’honnêteté et le patriotisme de Delilah Dirk sont remis en cause. Elle aurait vendu des informations aux Français ! La voilà contrainte à rejoindre l’Angleterre et sa famille pour se disculper. Sauf que là-bas, Delilah Dirk n’existe pas… Elle est uniquement une Alexandra pur produit de l’aristocratie britannique attendue par une mère anxieuse. Laquelle de ces deux facettes parviendra à faire éclater la vérité ?

delilah-dirkdelilahDans « Delilah Dirk et le Shilling du Roy », Tony Cliff a affiné et dynamisé son trait dans ce deuxième opus qui sort directement en « gros » volume aux éditions Akileos. Il sait rendre ses deux protagonistes attachants par leurs défauts, leurs excès, leurs inadaptations à leur milieu. Il fait la part belle à l’action et aux rebondissements et l’exotisme est toujours au rendez-vous. Les éditions Akileos ont réédité la première aventure « Delilah Dirk et le Lieutenant Turc » en intégrale. Plus d’excuses pour ne pas plonger dans ce maelstrom d’humour et d’action !

Lectures itinérantes…

… des premières semaines de septembre 2016. Panorama rapide de mes lectures réjouissantes. Celles qui ne l’étaient pas, je les oublie !

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Pas mal de lectures pour la jeunesse cette fois-ci et pour tous les âges.

Un vent de joie et de bonheur souffle sur « Ernest & Rebecca » et ses lecteurs. Dans ce tome 7, la jeune fille au caractère bien trempé et son célèbre microbe domestique tente de prouver que leur nouvelle maîtresse est une sorcière et de réhabiliter leur ancien professeur. Alternant albums graves et albums acidulés, Guillaume Bianco et Antonello Danela abordent la maladie, la vieillesse, le divorce et bien d’autres thèmes encore avec bienveillance et humour. De quoi bien grandir avec le sourire !

Ernest & Rebecca T.7 / Guillaume Bianco & Antonello Danela / éd.Le Lombard

 

« L’Envers des Contes » se déroule dans un univers où tous les contes traditionnels, toutes les fables se côtoient.  Dans ce premier tome, grâce à un repentir sincère, la demi-sœur de Cendrillon s’est réconciliée avec celle qui fut leur souffre-douleur. Elle sera même invitée à ses fiançailles. Malheureusement, sa sœur et sa mère sont toujours les monstres acariâtres que l’on connait. Elles vont donc fomenter un mauvais tour. Bourrée d’humour et de rebondissements, cette série comblera jeunes et adolescents dans un récit loin d’être simpliste !

L’envers des contes T.1 / Gihef & Zimra / éd.Kennes

 

Le parti-pris de « Un pour tous » est de se pencher sur les personnages historiques dont s’est inspiré Alexandre Dumas pour « Les Trois Mousquetaires ». Des hommes illustres de cette garde rapprochée de Louis XIII se retrouvent dès les premières pages enfermés par les sbires du Cardinal. Seule une nouvelle génération enthousiaste et fidèle de fines lames pourra sauver les intérêts du Roi et ses courageux mousquetaires. Ancré dans la réalité historique et ses méandres politiques, doté d’une grande vivacité, ce premier tome ravira les amoureux de cape et d’épée.

Un pour tous T1 / Fabien Dalmasso / éd. Delcourt

 

Pour les adolescents, deux titres se détachent.

Le troisième tome de « La Vie Compliquée de Léa Olivier » continue à nous dépeindre le quotidien de lycéens canadiens. Leurs amours, leurs peines de cœur, leurs amitiés – qui ne diffèrent en rien de leurs équivalents français –  sont évoqués avec authenticité, humour et vraisemblance. Ici, Léa a du mal à gérer tous les soubresauts de son couple et les interrogations que cela suscite… La touche exotique québécoise achève de me convaincre : voilà une bonne série ado au même titre que  « Rouge Tagada » ou « Invisible  » des éd.Gulf Stream !

La vie compliquée de Léa Olivier / Alcante & Ludo Borecki / éd.Kennes

 

« Les Lames d’Âpretagne » est irrévérencieux et jongle avec l’humour comme on joue avec une double hache ! Cela tombe bien pour un récit d’heroïc fantasy débridé. Quête impossible (couper un gland ?!), duo improbable (le noble et le pouilleux), monstres grotesques, tous les ingrédients sont là pour la tranche humoristique. Mais cela ne s’arrête pas là et une véritable fresque épique et politique se révèle à nous. Une bonne surprise donc pour une saga à l’origine publiée sur le web.

Les lames d’Âpretagne T.1 / Luc Venries, Yoann Courric & Noë Monin / éd.Casterman

 

Pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu, Panini réédite « Avengers la Séparation« , prélude à la saga de « House of M ». Tous les malheurs s’abattent sur l’équipe de super-héros, à tel point que la survie du groupe en est menacée. Qui peut être derrière cette hécatombe ? Qui peut en vouloir autant à ces justiciers au point de détruire tout ce qu’ils représentent. La collection Marvel Events remet en avant les arcs les plus marquants de cet univers et celui de Bendis et Finch fait parti de ceux-là !

Avengers : la séparation / Brian M.Bendis & David Fincher / éd. Panini

 

Enfin, le nouveau tome de la collection « Androïdes » nous offre un récit sans prétention mais efficace sur le retour au pays. Une expédition vers une galaxie étant vouée à l’échec à cause d’une avarie, les rares survivants, un androïde et une intelligence artificielle décident de faire demi-tour. Sauf que la Terre a bien changé depuis leur départ… Et que peut bien représenter cette planète pour quelqu’un qui n’y a jamais vécu ?

Androïdes T.2 / olivier Peru & Geyser / éd. Soleil

Lectures vagabondes…

… de fin août et début septembre 2016. Panorama rapide de mes lectures satisfaisantes. Celles qui ne l’étaient pas, je les oublie !

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« Coquelicots d’Irak » apporte un éclairage intéressant sur le quotidien en Irak dans les années 60-70. Un témoignage sensible en courtes anecdotes. Cet album n’échappe pas à la comparaison récente (L’Arabe du Futur) ou lointaine (Persépolis) mais sort néanmoins son épingle du jeu par un humour discret, une analyse fine et une franchise surprenante sur sa famille.

Coquelicots d’Irak / Brigitte Findakly & Lewis Trondheim / éd.L’association

 

« Hawkwood » T.3 continue de nous plonger efficacement dans la Guerre de 100 ans au travers d’une troupe de mercenaires aguerris, au plus près de la réalité historique. Alors que « Montage » T.15 marque un peu le pas dans ses révélations et s’embrouille dans sa violence parfois gratuite. Néanmoins ce thriller sur le vol de milliers de Yens reste palpitant et addictif.

Hawkwood, mercenaire T.3 / Tommy Ohtsuka / éd. Dokidoki

Montage T.15 / Jun Watanabe / éd.Kana

 

« Mondes Obliques », suite de « Réalités Obliques » a un goût de Twilight Zone assumé. Plus noires que les précédentes, ces saynètes dépeignent un univers cynique et désespéré. L’extrême ingéniosité des situations fantastiques est à saluer.

Mondes Obliques / Clarke / éd.Le Lombard

 

« Exarcheia », grâce au retour dans un quartier d’Athènes de son enfance d’un jeune Grec, nous met face aux quotidiens de cette population. Les remous politiques, les difficultés économiques, la montée de l’extrême-droite, les aspirations libertaires, la contestation pacifique ou pas et tant d’autres. Sans oublier les petites gens, leurs amours et leurs espoirs. Très dense et très riche, cet album souffre parfois d’un manque de contextualisation et de traduction (les graffitis, les slogans, les banderoles sont en grec). Il n’en demeure pas moins une très bonne découverte de la rentrée.

Exarcheia, l’Orange amère / Dimitrios Mastoros & Nicolas Wouters / éd. Futuropolis

Les éditions du Long Bec rééditent la saga « Fog » en deux gros pavés. C’est l’occasion rêvée pour découvrir les premières œuvres de Cyril Bonin.  En pleine ère victorienne, des policiers enquêtent sur des crimes pour lesquels l’occulte et le mystère ne sont peut-être pas étrangers.

Fog T.1 / Roger Seiter & Cyril Bonin / éd. du Long Bec

Nous reviendrons prochainement plus longuement sur « L’anniversaire de Kim Jong Il« , mais sachez d’ores et déjà qu’il fait partie de nos albums coups de cœur de la rentrée.

L’Anniversaire de Kim Jong-Il / Aurélien Ducoudray & Mélanie Allag / éd. Delcourt

Il est agréable de retrouver Pascal Rabaté le temps d’un album avec un graphisme proche d’Ibicus ou Un ver dans le Fruit. En pleine débâcle,  un soldat français tente de retrouver son régiment, à son rythme paisiblement. Il n’a rien d’un déserteur mais il n’est pas suicidaire non plus. S’il n’apporte rien de neuf sur cette époque, « La Déconfiture » montre le danger bien réel de la guerre et les « trous » dans lesquels certains sont passés à côté de la menace. On espère que le deuxième tome se lira un peu moins vite…

La Déconfiture T.1 / Pascal Rabaté / éd.Futuropolis

Je suis toujours fan de cette série policière au parfum britannique cynique et réaliste qu’est « Maggy Garrisson » . Ce troisième opus conclue l’intrigue du premier tome et installe deux mini enquêtes – sur des dents et des photos ! – . Celles-ci auraient mérité peut-être un peu plus de page car leur conclusion est un peu abrupte. Cependant, la rigueur du dessin et l’humour pince-sans-rire sont toujours au rendez-vous.

Maggy Garrisson T.3 / Lewis Trondheim & Stéphane Oiry / éd.Dupuis

Gérald vous a déjà vanté les qualités du « Sixième Dalaï-lama« , il est inutile donc que je m’y attarde.

Le Sixième Dalaï-Lama » T.1 / Guo Qiang & Zaho Ze / éd.Fei

A très vite pour de prochains vagabondages !

 

 

 

Quelques femmes d’exception

Avant de plonger dans le maelström de la rentrée littéraire, je vais m’attarder sur trois titres sortis avant les vacances, chacun d’eux faisant la part belle à un personnage féminin.

Amer savoir celui qu’on tire du voyage…

port-des-marins-perdus-couverture_5631447Non, je ne vais évoquer ni Baudelaire, ni « Théodore Poussin » (dont j’attends pourtant avec impatience la sortie du prochain tome) mais de l’album « Le Port des Marins Perdus« . Publié aux éditions Treize Etrange, ce récit en un tome m’a tout bonnement captivé, enivré, transporté ! Un jeune garçon est retrouvé sur une plage lointaine du Siam par un capitaine anglais en 1807. Victime d’un naufrage, ce jeune homme ne se souvient plus de rien. Seule trace dans cette immense page blanche, son prénom Abel. Alors que les guerres napoléoniennes mettent les mers à feu et à sang, le capitaine va le prendre sous son aile et le ramener à Plymouth. Là, il va le confier à la famille de son ancien mentor et ami, un commandant prénommé lui aussi Abel. Malheureusement ce commandant est accusé de trahison et ses trois filles se retrouvent dans le plus grand dénuement. Cela ne les empêche pas d’accueillir comme il se doit ce jeune amnésique.

Teresa Radice et Stefano Turconi, déjà auteurs de l’excellente série jeunesse « Violette autour du monde » (éd.Dargaud), nous gratifient d’un « opéra graphique » (dixit l’introduction) long et poignant. Quatre actes témoignent d’un vibrant hommage à la littérature anglaise, à la mer insoumise, aux marins et leurs superstitions, à la poésie qui réveille l’âme également. Car si Abel est bien le protagoniste central, la figure, tout à la fois lumineuse et crépusculaire, qui se démarque est Rebecca. Tenancière d’une maison close, son parcours est sinueux tout comme ses aspirations  et les liens qu’elle tisse avec ses clients. Amoureuse de la littérature, elle va peu à peu ouvrir les yeux d’Abel. Quant aux trois filles qui le recueillent, elles sont loin d’être monolithiques. Face à l’opprobre qu’elles subissent depuis la trahison de leur père, chacune apporte candeur, fougue ou pondération au tumulte de leur nouvelle vie. Dans « Le Port des Marins Oubliés« , même si elles restent à terre les femmes sont les fanaux des hommes.

Les langues pernicieuses pourraient interroger le rendu graphique de l’album : « Il est joli le brouillon. Quand sort la version définitive encrée ? ». Toutefois, le choix d’un simple crayonné poussé participe à l’évanescence de l’intrigue, son mystère et sa fantasmagorie. Ces presque 300 pages se méritent, elles ne se laissent pas vaincre en une seule fois. On s’y prend, on s’y perd, on y revient. Mais la récompense est là.

A tel point que, à l’heure où j’écris ces lignes, l’album est épuisé. Il faut dire qu’entre autres Télérama et l’Express en avaient dit du bien. Mais une réimpression est prévue prochainement. Ne la manquez pas !

Sous les pavés, hasta siempre !

INSOUMISES_couvGF2J’attendais des éditions du Long Bec une oeuvre majeure qui marquerait leur catalogue, pas une réédition mais bien une nouveauté qui permettrait de braquer les feux de la curiosité. Je pense avoir enfin trouvé mon bonheur avec « Insoumises« .

Le scénariste Javier Cosnava et le dessinateur Rubén dépeignent un trio de femmes de la Guerre d’Espagne à mai 68 en passant par la 2nde Guerre Mondiale. Caridad, Fé et Esperenza se retrouvent malgré elles en première ligne de la lutte contre le franquisme. De ces épisodes sanglants, naîtra une amitié indéfectible, quels que soient les parcours individuels de ces trois femmes et les soubresauts de l’Histoire. Les auteurs, tout en ménageant des phases d’actions et de luttes, présentent un récit loin des intrigues convenues sur le féminisme. En effet, c’est bien à chaque fois la place de la Femme qui est convoquée à la table de l’Histoire. En premier lieu, c’est effectivement la rôle de la Femme dans la guerre qui est évoquée. Là où sont glorifiés les soldats et les hommes qui ont versé leur sang pour une cause ou une nation, Caridad, Fé et Esperenza rappellent que les femmes ont aussi pris les armes et sont tombées.  La place de la femme dans la société, que ce soit la France occupée des années 40 ou corsetée des années 60, est présentée sous un axe atypique. La femme face à sa propre sexualité et les interdits que l’homme lui imposent émaillent également le récit. Mais aucune de ces approches n’est didactique ou moralisatrice. Chacune des héroïnes fait des choix et des erreurs et participe à la lutte émancipatrice.

Voilà donc un album qui mérite toute votre attention !

Chère cousine…

talcJe ne sais comment l’expliquer mais les derniers albums de Marcello Quintanilha me font penser à des films. « Tungstène » m’évoquait « Chute Libre » et celui-ci n’échappe à la règle. « Talc de Verre  » paru aux éditions Çà et là me ramène à « Requiem for a dream » et plus particulièrement à la mère en attente d’un passage à la télé. Les thématiques sont différentes me direz-vous et vous auriez raison. Toutefois, le basculement dans une névrose et le message lancinant qui tourne en boucle sont présents dans les deux œuvres.

Rosangela a tout pour être heureuse. Elle a un métier épanouissant et très bien payé, un mari aimant et attentionné, des enfants formidables. Son niveau de vie lui permet d’obtenir tout ce qu’elle souhaite. Dans ce Brésil aux fractures sociales abyssales, elle est dans les sphères aisées. Toutefois, dans ce bonheur idyllique, un sentiment diffus émerge. Dans ce monde parfait, le souvenir de sa cousine, maltraitée par la vie, revient inlassablement. Cette cousine malgré tout digne et courageuse… Et dotée d’un sourire… et de cheveux… d’une telle beauté.

Et voilà à partir de ces éléments, l’auteur va créer une descente aux enfers, à la fois tellement invraisemblable et pourtant si crédible. En optant pour un narrateur omniscient s’adressant au lecteur, il crée les conditions à ce que cette folie ordinaire s’installe et ravage tout sur son passage. Vous trouverez sans doute cet album irritant. Vous le lirez en vous forçant ou avec une sorte de malaise. Quintanilha a tout fait pour. Et c’est cette dissection de ce syndrome qui rend l’ouvrage intéressant. C’est cette vue vertigineuse de l’intérieur qui lui donne sa saveur.

Alors, bien sûr, je ne trouve pas que la cousine soit bien dessinée, que son sourire soit sublime et ses cheveux parfait. Cependant, le décalage du dessin hyper réaliste (et parfois hyper lourd) participe également à l’épaisseur de cette tranche de vie.

A découvrir donc avec toutes les précautions d’usage : il ne plaira pas à tout le monde !

Flocon de neige et engrenage

Que diriez-vous de quelques comics pour amener à la plage (ou ailleurs) juste avant la rentrée qui se profile dangereusement ? En voilà trois qui iront bien avec votre bronzage.

PLANETARY T.1 / Warren Ellis & John Cassaday / Editions Urban Comics

planetary-tome-1-39675Avec « Le Marquis » de Guy Davis, « Planetary » est la série présente dans ma bibliothèque personnelle sous le plus grand nombre de déclinaisons, au gré des vicissitudes éditoriales : fascicules VO, TPB, éditions Soleil, Spark, Semic ou Panini. Pourquoi ? Parce que « Planetary » est une série extrêmement bien écrite et construite avec une lucidité scénaristique impressionnante par Warren Ellis. Quant à John Cassaday, alors jeune dessinateur, il donne le meilleur de lui-même sur ces planches.
Une organisation aussi mystérieuse que dotée de fonds financiers solides exhume les secrets hors du commun du monde. A sa tête se trouvent quatre individus pourvus de « superpouvoir » : Jakita Wagner fait preuve d’une endurance, d’une force et d’une vitesse accrues, Elijah Snow maîtrise les températures et est un enfant du siècle (nous reviendrons sur cette idée), le Batteur ressent le flux des informations et enfin le quatrième homme est mentionné mais on ne saura rien de lui au début de l’histoire.

img-1-small580L’intrigue démarre avec le recrutement d’Elijah Snow dont on devine un passé tumultueux et bien rempli. Il ne sait toutefois rien de cette organisation qui désire l’employer. A travers son regard, le lecteur va appréhender le quotidien de ces archéologues du surnaturel. « Archéologues » voilà une des forces de cette série : les personnages se positionnent en tant que chercheurs, enlevant une par une les strates de complots cachant le vrai visage du monde. Ce ne sont pas des troupes d’interventions, des justiciers pourfendeurs de torts. Non, ils viennent après les catastrophes et cherchent à les comprendre pour éviter que d’autres désastres ne surviennent. Bien sûr, arrivés à un certain point, l’adversité surgit et il faut alors intervenir, parfois avec violence.

Les qualités de cette série sont nombreuses. En premier lieu, bien qu’étant intégré à l’univers Wildstorm et notamment aux séries de comics « Stormwatch » et  » Authority« , « Planetary » bénéficie d’un statut à part, voguant de manière autonome dans sa propre sphère d’influence. Bien sûr, des événements communs sont évoqués, des cross-overs sont organisés. Toutefois, le lecteur n’est pas oppressé par un univers cohérent dont il devrait avoir toutes les clés.

Ensuite, « Planetary » a été conçu en maxi-série, c’est-à-dire avec une fin déjà programmée et des éléments amenant au dénouement parsemés dans chaque épisode. En moins de 30 chapitres (deux albums), Warren Ellis crée une toile qui, de prime abord, semble composée d’épisodes autonomes. Puis petit à petit, les éléments se répondent, se coordonnent, se justifient les uns les autres. Et la fin est une vraie conclusion, avec son lot de révélations et de parts d’ombre.

Planetary4Pour dérouler le reste des qualités scénaristiques, je dois évoquer Thomas Schatz. Ce critique de comics explique les différents états dans lequel l’industrie du comics a transité. Il parle notamment de l’âge baroque ou maniériste. Le comics revient à ses propres fondements, à sa propre mythologie pour la ré-exploiter dans des récits nouveaux, rendant hommage à ses prédécesseurs sans plagiat. Ce regard en arrière, dans des cas exceptionnels, magnifie la matière première principale en comics inoubliables. Dans cette catégorie, je pense notamment à « Astrocity » de Busiek et Anderson, « 1985 » de Millar et Edwards ou encore « Top 10 » de Moore et Ha.

Ici, Warren Ellis invoque les bases du comics : la littérature pulp, la pop culture, le « mauvais » genre. Il se joue de ses figures emblématiques : Doc Savage, Godzilla, la Justice League, les 4 Fantastics, Hulk, Sherlock Holmes… Ainsi, il crée une connivence avec le lecteur amateur du genre, l’emmène sur un territoire qu’il croit balisé. Puis, le surprend en réutilisant tout ça de manière inattendue. Ces Fantastics-là sont les parangons du mal et les rayons gamma n’ont causé que des drames.

Planetary1Dans Stormwatch, Ellis avait intégré le concept d’enfant du siècle avec Jenny Spark. Il récidive avec Elijah Snow : tous deux sont nés le 1er janvier 1900 et mourront à la fin de ce siècle. Ils ont fortement influencé le cours du XX° et ont protégé la Terre de toutes menaces. De manière sous-jacente, le scénariste affirme que la littérature de genres a façonné notre époque, qu’elle l’a manipulée pour arriver à la culture d’aujourd’hui, numérique, moins mystérieuse mais tout aussi dangereuse. John Cassaday enfonce le clou : Hugo Pratt sert de modèle physique à Snow, alors que le Batteur est son autoportrait. La boucle est bouclée : le réel et le comics s’interpénètrent.

Parlons justement de Cassaday. Dessinateur peu connu à cette époque, son trait réaliste presque froid se trouve au diapason de l’histoire. Il ne montre que l’essentiel réduisant les décors à ce qui est significatif : vaisseau exubérant et détaillé, chambre d’hôpital à peine esquissé. Les tenues de ses personnages sont loin des uniformes de leurs homologues super-héroïques. Elles sont fonctionnelles ou élégantes, voire variées (!) mais surtout elles ancrent une fois de plus le récit dans le réel.

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Chers lecteurs français, il vous est à présent possible de lire l’intégralité de cette formidable saga en deux tomes (le second sortira l’année prochaine) avec quelques cross-overs et hors-séries aux éditions Urban Comics.

EX MACHINA T.5 / Brian K. Vaughan & Tony Harris / Editions Urban Comics

ex-machina-tome-5-40562Toujours chez le même éditeur, le dernier tome de « Ex Machina » vient enfin de sortir. Jusqu’ici inédite en France, la conclusion des aventures de Mitchell Hundred vaut son pesant de… boulons ! Brian Vaughan et Tony Harris nous ont tenu en haleine pendant cinq gros volumes, disséminant discrètement les éléments du grand final. Une apothéose !

Tiens, vous souvenez-vous que toute la série est basée sur un flashback, que Mitchell  vous a annoncé comment la catastrophe s’était produite dès les toutes premières pages ? Hé bien voilà, on y est ! Tous les engrenages sont à présent assemblés.

505156-21exm_cv39Pour ceux qui auraient vraiment tout oublié, Mitchell Hundred a des super-pouvoirs. Suite à un accident avec un mécanisme venu d’ailleurs, cet ingénieur a la capacité de communiquer avec toutes les machines et de leur imposer sa volonté. Après une courte carrière comme justicier masqué, il se rend compte que pour rendre New-York meilleur, pour prendre le mal à la racine, il n’a pas fait le bon choix. Il brigue donc la mairie de New-York pour porter ses idéaux. Et obtient le mandat ! Dès lors, Mitchell va devoir gérer les problèmes de gestion d’une municipalité mais également les mystères qui entourent ses pouvoirs.

« Ex Machina » est une série rafraîchissante. Ses personnages sont authentiques avec leur dose d’humour, d’humeur, de convictions et de lâcheté. Ils nous renvoient à notre réel et notre actualité, que ce soient les questions de terrorisme, de racisme ou de géopolitique globale (Sarkozy, vraiment !?). Mais elle y apporte sa petite touche d’exotisme, son prisme déformant à travers les pouvoirs de Hundred et ce que cela implique comme bizarrerie ou danger.

ex-machina-wallpaperComme pour « Planetary », Vaughan insinue que le comics a de l’importance, qu’il forge une certaine forme d’héroïsme chez ceux qui sont suffisamment ouverts à cette littérature mais qui ont aussi suffisamment de recul pour en voir les applications dans le réel. Mitchell est fan de comics, il choisit donc dans un premier temps la voie du justicier masqué tout en observant son caractère vain et artificiel. La mise en abyme de Vaughan est totale et il se joue des codes du comics pour mieux nous surprendre.

La fin vous surprendra, peut-être moins que pour « Y le Dernier Homme ». Toutefois, la conclusion douce-amère ne fait que renforcer la faillibilité de l’être humain. Le pouvoir corrompt, qu’il soit politique ou surnaturel. Il faut juste suffisamment de lucidité pour l’accepter. Telle pourrait être la morale de cette histoire.

Ah, oui et puis Tony Harris est un super dessinateur. C’est tout.exmachina4

MANIFEST DESTINY T.1 / Chris Dingess & Matthew Roberts / Editions Delcourt

MANIFEST DESTINY 01 C1C4 OK.indd001_073MANIFESTDESTINY01.inddPour ceux qui ont eu le courage de lire jusqu’ici, je leur conseille de jeter un coup d’oeil à « Manifest Destiny » de Chris Dingess et Matthew Roberts aux éditions Delcourt. Grâce à eux, j’ai enfin compris le jeu de mot d’un arc des X-Men qui portait le même nom. Car Manifest Destiny a une vraie signification que je vous laisse découvrir ici. Dans ce premier tome, un équipage composé de scientifiques, de militaires et de repris de justice doivent rejoindre un fort éloigné dans l’Ouest américain. De là pourront s’installer des colons qui porteront la bonne parole et la civilisation dans ces contrées perdues.

Et bien sûr, cela ne se passe pas comme prévu… Voilà un album divertissant, un brin horrifique et ancré dans une période historique (le tout début du 19ème américain) que je connais mal. Tout pour plaire !

Voilà c’est tout pour aujourd’hui.

 

Pousser ou grandir

– après R.Silverberg –

Les chroniques sociales ou les comédies de mœurs ont une saveur différente lorsqu’elles nous viennent d’outre-atlantique. Elles fleurent l’exotisme américain, pourtant si familier grâce aux séries TV, films et autres comics dont nos générations se sont abreuvés. Elles parlent des spécificités new-yorkaises, de l’air du temps des grandes villes, de la société contemporaine américaine. Et pour les plus réussies, avec cette touche d’humour et d’ironie qui en pimente l’intérêt. Toutefois, malgré cet estampillage US, la plupart du temps, ces tranches de vie sont universelles. Le lecteur français y trouvera autant que dans un « M.Jean« , un album de Christopher, Peyraud ou même Jim. Elles abordent la vie avec ses complexités, ses choix, ses joies et son inéluctable évolution.

 

Le retour dans nos librairies françaises d’Alex Robinson, auteur du dense jouissif « De Mal en pis » (éd. Rackham), me permet de remettre en avant trois titres qui comme dirait ce bon vieux Mark Knopfler illustre « the walk of life ».

new york four 1new york four 2Avant de rentrer de plain pied dans la vie adulte, pour certains d’entre-nous, il y a la case « étude » « université » et/ou « coloc' ». Sortie l’an dernier aux éditions Urban, « The New York Four » se focalise sur cette période charnière où tout se joue, les amitiés comme les décisions. Brian Wood, pour honorer le contrat le liant à l’éphémère collection « Minx » de DC destinée à un public féminin, avait décidé d’évoquer son amour pour New York, sa vie nocturne, sa jeunesse, son dynamisme, à travers la colocation de quatre jeunes femmes. Avec chacun des protagonistes, nous en arpentons les rues, nous nous grisons dans ses concerts et nous sommes impressionnés par ses buildings. Cet amour quasi viscéral, charnel pour la ville et ses habitants, nous pouvons le retrouver dans une de ses séries phares : « DMZ » en compagnie du même dessinateur Ryan Kelly. Ce dernier, avec une grande acuité, nous apporte grandeur dans les décors et humanité dans
les personnages, il capte le pouls de la ville et les battements de cœur de ces jeunes filles.

new york four 3Elles sont quatre, atypiques et profondément attachantes, révélant leur personnalité au fil des pages. Ren, Lorna, Marissa et Riley, la narratrice, sont les archétypes de ces jeunes adultes qui au contact des unes les autres mais aussi de la Ville vont se révéler à elle-même et aux autres. Prise de confiance, prise de conscience également, certaines vont apprendre à connaître une sœur, d’autres à s’affirmer… B.Wood et R.Kelly n’oublient pas également de rythmer l’intrigue par quelques rebondissements tels que ce mystérieux interlocuteur qui laisse des messages à Riley ou la rencontre d’Olive qui squatte l’immeuble. Ce récit complet, dont la fin a été un peu précipitée pour des raisons éditoriales, se lit avec beaucoup de plaisir et de simplicité…

 

cute 1Après les études, viennent les premiers jobs, les rencontres amoureuses un peu plus sérieuses et la confirmation (ou pas) que nos premiers choix n’étaient pas les mauvais. Dans « The Cute Girl Network« , paru aux éditions Glénat, Greg Means, MK Reed et Joe Flood nous content une petite histoire sans prétention abordée avec humour et décalage.  Jack, bien que mignon et touchant, est le parangon de la maladresse, sous toutes ses formes. Entre ses mains, tout objet devient dangereux et son absence de filtre social le place dans des situations où il peut blesser l’amour-propre d’autrui ou paraître pour ce qu’il n’est pas. Sa nonchalance et sa candeur, en plus d’une soupe gratuite (Jack est vendeur de soupe ambulant) ont fait craquer Jane. Jane, elle-même, ne rentre pas dans les cases. Vendeuse dans un magasin de skate-board, skateuse douée, elle doit se battre quotidiennement pour exister dans ce milieu quasi exclusivement masculin. Le coup de foudre est assuré pour ce couple si étrangement assorti. Sauf que Jack a un passé amoureux et Jane des amies bien pensantes. Tout un réseau d’ex vont la mettre en garde contre le péril Jack… La force de ce récit est la détermination de Jane dans toutes les situations que ce soit dans ses engagements féministes à son échelle, la tendresse qu’elle porte à son copain ou son refus du diktat de bienséance amoureuse de « ce-qui-est-bon-pour-toi-que-tu-ignores-encore ». Pris dans l’air du temps, cette petite histoire apporte sa modeste contribution à casser les codes.

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robinsoncouvrobinson2Inéluctablement, vient le moment où la quarantaine arrive : la bande de potes s’est assagie, les couples sont à présent des familles et l’heure du bilan a sonné. Tout ceci, Alex Robinson dans « Notre univers en expansion » (éd.Futuropolis) nous l’assène avec un réalisme teinté d’humour un brin désabusé. Après avoir exposé les affres et les joies de la trentaine à New York dans « De Mal en pis » et ses deux mini suites, il prolonge sa réflexion sur notre société 12 ans plus tard. Scotty et Ritu ont un enfant et en attendent un deuxième, Bill et Marcy sont en couple depuis longtemps et la question de l’enfant se pose, quant à Brownie, sa vie de célibataire lui convient bien ou tout cherche-t-il à le faire croire. Telle est la situation de départ.

robinson5Toutefois entre les reculades de Bill sur la paternité, la pression parentale pour avoir des petits-enfants ou les réunions de famille et leurs mesquineries et luttes larvées, le couple de Bill/Marcy sent que l’on attend encore plus d’eux. On pourrait penser qu’heureusement l’amitié, elle, est indissoluble mais se serait minimiser l’importance de choisir son camp entre sa femme ou son pote. Comme dans « The Cute Girl Network », le lecteur est amené à se demander ce qui est indissociable et capital dans un individu et la relation que l’on entretient avec lui, en opposition à ce qui fait partie de l’erreur, de l’accident de parcours qui ne devrait pas (ou peu) remettre en cause le jugement et les sentiments que l’on avait à son égard jusqu’ici. Le personnage de Brownie est riche puisqu’il est à la fois le plus immature, le plus fou et en même temps le plus lucide sur les difficultés de ses amis et de la vie en général. « Notre univers en expansion » brosse toutes les facettes de ce que l’amitié a à nous offrir lorsqu’on est à un âge où la maturité sereine tarde à venir.

 

Voilà donc trois chroniques sociales américaines, trois romans graphiques en N&B, trois approches de notre quotidiens qui sont des reflets, déformés certes, mais enrichissants que je vous encourage à découvrir.

 

 

Aie conffffiance… ssss…

cest-un-oiseauc-est-un-oiseau
Bon, cela fait combien de temps qu’on se connaît maintenant ? Cinq ans ? Six ans ? Presque douze pour certains si on cumule… Vous pouvez me faire confiance en tant que libraire, non ? Si je vous dis qu’un album est excellent, extraordinaire, touchant, toute incrédulité est à présent balayée et vous pouvez le prendre les yeux fermés. Non ?Je n’ai plus besoin de vous en vanter les mérites ou de mettre en avant ses qualités. On a dépassé les doutes, la méfiance, non ?

 
Alors, je dirai juste : faîtes moi confiance « C’est un oiseau » du scénariste Steven Seagle et du dessinateur Teddy Kristiansen (ah le Manoir aux Secrets ! ah Grendel ! ah Sandman !) aux éditions Urban est un excellent album. Je l’ai dit en 2010, je l’avais dit en 2004 et je le redis en 2016. Ouvrez-le, lisez-le.

cest-un-oiseau2Bon, c’est des coups à faire baisser ma côte de confiance si ça ne vous plaît pas mais j’assume !

super

 

 

 

 

album-cover-large-27654Ah et puis dans un autre registre, jetez un coup d’oeil à « Chroniques de Nulle part » de Starsky, Rica et Tocco aux éditions Aaarg ! C’est également du lourd ! On en reparle à la librairie.

 

Espions, droïdes et vie virtuelle

diabolik2Ceux qui ont eu la chance de voir l’exposition consacrée à « Souvenirs de l’Empire de l’Atome » au festival des Utopiales se souviennent de l’impact visuel de cet album hors normes. Thierry Smolderen concoctait un scénario intrigant rendant un vibrant hommage à la SF de l’Age d’or superbement mis en scène par Alexandre Clérisse. Cette fois-ci dans « L’Été Diabolik » (éd.Dargaud), ce sont les romans d’espionnage qui sont mis à l’honneur. En pleine Guerre Froide, chacun peut être un communiste infiltré cherchant à nuire aux intérêts de la France et du monde libre. En cet été 1967, Alexandre profite des joies adolescentes de ses 15 ans, mais sa victoire apparemment anodine lors d’un match de tennis va avoir un effet domino inattendu, un été qu’il n’oubliera jamais.

diabolik1Dans une habile intrigue, solide et haletante, le scénariste de « Ghost Money » se joue de tous les poncifs du genre (espions mystérieux, agents doubles, assassinat de Kennedy, disparitions et courses poursuites) pour les faire apparaître avec un nouvel éclat, une fraîcheur jusque-là oubliée. Il est aidé en cela par la maestria graphique d’A.Clérisse qui en quelques couleurs saturées, en quelques formes géométriques plaquées nous fait remonter le temps.

Si vous ne l’avez pas encore compris, jetez-vous sur ce récit complet qui tient toutes ses promesses !

varievie1J’ai failli passer à côté ! Vraiment, cela aurait été dommage ! Vous savez comment c’est : on reçoit plus d’une soixantaine d’ouvrages par semaine. On s’impose alors des priorités de lecture entre ceux que l’on a envie de lire (parce qu’on sait que c’est bien, parce qu’on est curieux…) et ceux que l’on doit lire (parce qu’on va nous poser des questions, parce qu’il est hors normes, parce qu’il est attendu…). Et puis il y a tous les autres. Et souvent de vagues de nouveautés en vague de nouveautés, ces albums sont poussés vers le fond du magasin, jusqu’à l’oubli… et le retour à l’éditeur. « La Vraie Vie » de Thomas Cadène et Grégory Mardon (éd.Futuropolis) a failli connaître ce sort. Pourtant, la vie de Jean Libonnet, employé municipal, tout ce qu’il y a de plus banal dans une petite ville tout aussi classique, devient un récit précieux parce que même s’il est singulier, il est universel. Et l’apport de technologie n’y change rien. En effet, le personnage, d’abord célibataire, cherche des rapports humains à travers l’ensemble des outils mis à disposition par internet : chat, twitter, forums, facebook et j’en passe. Même si cette activité est chronophage, même s’il ne rencontre jamais les personnes avec lesquels il chatte, même si la superficialité des propos est parfois prégnante, il ne tente pas de mêler sa vie « IRL » à sa vie numérique, il s’épanouit avec les deux.

varievie2Thomas Cadène, déjà scénariste sur « Les Autres Gens » avec quelques punchlines bien placées – « T‘as grandi dans un bar, t’es bien placée pour savoir que l’humanité n’a pas attendu internet pour commenter de la merde. » brosse un portrait moderne, efficace. Grégory Mardon avec une narration et des images à la fois très explicites (ne lisez pas cet album dans le bus, vous allez avoir des regards de travers) et en même temps tout en sous-entendus renforce le propos. Touchant jsuqu’à la fin, je me suis fait happée par cette histoire que je vous recommande.

descender1Enfin, la méga grosse cerise sur le gâteau, le titre qui réjouit les cœurs : « Descender » (Jeff Lemire & Dustin Nguyen, éd.Urban) nous met une grosse claque ! Dans un futur où l’humanité et d’autres races extraterrestres forment une coalition interplanétaire, des robots géants (vraiment colossaux : de la taille d’une planète) attaquent et déciment des populations entières. On les appelle les Moissonneurs. Dix ans plus tard, chacun essaye de se remettre de ce grand cataclysme, mais dans les mentalités du plus grand nombre, les robots sont devenus l’ennemi et les robocides sont légions. Le Dr.Quon, éminent roboticien tombé dans la pauvreté, est appelé par les forces gouvernementales car après de nombreuses études, il s’avère que le programme informatique des Moissonneurs est similaire à celui d’une gamme de droïdes qu’il avait jadis conçue. Et le dernier modèle encore répertorié vient de donner signe de vie sur une lointaine planète minière…

descender2Lorgnant vers les grands maîtres du genre – I.Asimov, B.Aldiss, P.K.Dick… – Jeff Lemire s’affranchit de leur héritage pour installer ce complexe récit technophile dans un space opera dynamité. Les rebondissements sont multiples, l’action maîtrisée, les personnages charismatiques. Quant aux dessins aquarellés du dessinateur de « Little Gotham », il s’adapte parfaitement à cet univers foisonnant. Du lourd, du très très lourd (et à 10€ jusqu’au mois de juin !).