Coups de coeur

L’un des plus beaux titres de l’année

La vie d’un libraire est plutôt agréable dans l’ensemble : nous passons notre temps à lire des bandes dessinées. Oui, mais certaine fois, à force d’en lire tous les soirs, nous sommes lassés de toutes ces histoires. On devient exigeant et on se demande si c’est nous qui n’apprécions plus la BD ou si il n’ y a que des choses moyennes ou passables. Et puis dans cette déferlante de sortie, arrive « Le Montreur d’Histoires » et là, la vie reprend ! Vous savez, c’est ce genre d’ouvrage qui vous met une claque sans prévenir et vous rappelle pourquoi vous aimez faire votre boulot. Un album qui vous presse à dire à tous les gens qui passent que c’est la pépite à lire du moment.

Maintenant que je vous ai mis l’eau à la bouche, je vais vous en parler un peu plus. On retrouve Zidrou au scénario. Souvenez-vous, il avait déjà marqué les esprits avec « la vieille dame qui n’avait jamais joué au  tennis et autres nouvelles qui font du bien » et le drôle et attendrissant « Lydie« .  Raphaël Beuchot – connu jusqu’à aujourd’hui sous le nom de Raphaël B, un jeune Nantais plein de talents – œuvre aux dessins.

Donc, c’est une histoire qui se passe en Afrique. Dans quel pays me diriez-vous ? Là n’est pas la question mais dans l’Afrique de notre époque. Il était un fois… en est le héros, un jeune homme qui sillonne les routes avec son théâtre de marionnettes pour offrir du rêve à qui viendra l’écouter. Mais raconter des histoires pour il était une fois, c’est une philosophie de vie, ce n’est pas mentir, c’est voir la vie avec les yeux d’un enfant. Si vous lui demandez pourquoi son singe est blanc et tout petit, il vous dira que lorsqu’il l’a connu, c’était un énorme yéti et que sous le soleil d’Afrique, il a fondu. Cependant, raconter des histoires dérange toujours, surtout lorsque le message est l’amour et la liberté. A sa manière, sans violence ni révolte, il va affronter la tyranie et l’oppression. Tel Gandhi, son esprit et ses histoires seront plus fortes que n’importe quelles armes. Le prix à payer sera lourd mais peu importe l’acharnement de ses opposants, son message sera transmis par son calme et son courage. Il enlèvera la peur dans le coeur des gens, car sans peur, les tyrans et les tyrannies les plus abjectes n’ont plus lieu d’être. Peu importe l’individu, seul le message de l’histoire doit rester.

Les auteurs nous offrent une fable d’aujourd’hui dure, émouvante, ou la beauté de l’imaginaire côtoie la dureté de la vie. Pour ma part il s’agit du meilleur titre depuis ce début d’année et ce n’est ni Emmanuel ni Gérald qui me contrediront. Donc, je ne peux que vous encourager à le lire et si le jury d’Angoulême a du goût, vous en attendrez parler en Janvier 2012. En attendant un grand merci aux auteurs pour ce pur moment de bonheur.

blabla de libraire

Après la petite surprise du début d’année avec « Les vacances de Jésus et Bouddha » parue chez Kurokawa, qui nous a beaucoup amusé et marqué par son originalité, voici un autre manga qui va faire parler de lui : « Bride Stories » de Kaoru Mori aux éditions Ki-oon.

L’auteur « d’Emma » nous propose cette fois-ci un voyage en plein cœur de l’Asie Centrale du XIX° siècle, l’histoire d’Amir jeune femme de 20 ans qui va se retrouver mariée à Karluk, un garçon à peine âgé de 12 ans. Elle a dû quitter sa famille pour intégrer sa nouvelle tribu. Sa maîtrise du tir à l’arc, ses talents équestres et la culture qu’elle a apportée avec elle charment très vite son nouvel entourage.

Nous pouvons apprécier cette histoire magnifiquement illustrée, la précision du trait captive le lecteur. L »intrigue se met en place délicatement, elle nous laisse présager pleins de rebondissements. En effet, la famille d’Amir ne va rien trouver de mieux, après l’avoir forcée à se marier, que de revenir sur sa décision, alors que sa nouvelle famille l’a adoptée et la considère comme l’une des leurs. Elle-même semble s’épanouir dans sa nouvelle vie…

Bonne lecture à tous ceux qui tenterons l’aventure avec « Bride Stories ».

Un très gros délire s’offre à vous avec « Un bébé à livrer » de Reineke chez Vraoum, où comment un lapin, un canard et un cochon se retrouvent chargés de livrer un bébé (étonnant non ?) à son nouveau domicile à Avignon. La cigogne chargée de l’affaire n’étant plus en mesure d’assumer sa fonction de livreur.

Bien évidemment, ils ne savent pas où se trouve Avignon, effectivement ce sont des crétins finis, mais avec les lapins, on commence à être habitué. Toutefois, leur acharnement et leur dévotion vont leur faire vivre des aventures incroyables . Si après çà, il y en a encore qui doutent de comment les bébés arrivent dans leur foyer, on ne pourra malheureusement rien pour eux. Pour les autres, voici un moyen de se marrer comme une baleine .

Pour tous ceux qui n’ont pas connu ce grand classique de la S.F. nipponne, voici l’occasion de découvrir « Planètes » de Makoto Yukimura que Panini réédite dans une version luxe. Cette série (comportant quatre volumes) vous narre plusieurs minis récits autour d’une équipe de nettoyeurs de l’espace chargés de déblayer les pourtours de notre planète. Les dangers de l’espace, le destin de ceux qui sont nés sur le sol lunaire et n’ont jamais foulé celui de la terre, les conséquences de l’apesanteur prolongée ou bien du confinement spatial, autant de thèmes abordés avec brio.

Alors qu’il y a très peu de nouvelles séries qui nous emmènent aux confins de l’univers, ce manga vous permettra au moins de vous mettre en orbite terrestre, et de partir, qui sait, peut-être jusqu’à Jupiter ou plus loin encore…

L’abus de bandes dessinées n’étant pas dangereux pour la santé, seulement pour le porte-monnaie, je vous en sers un petit dernier pour la route :

Qui n’a pas connu « Signé Furax« , « Bons baisers de partout » … tous ces épisodes radiophoniques complètements loufoques que Pierre Dac et Francis Blanches animaient avec maestria ? Vous peut-être ? hé bien, rattrapez votre retard  avec l’adaptation du « Perroquet des Batignolles » par les non-moins célèbres Boujut, Tardi et Stanislas aux éditions Dargaud.

Pour tous ceux qui ont soif d’aventure, de mystères et de rigolade à en faire dans sa culotte ! A ne pas rater, où vous le regretterez, si non on vous pète les genoux.

Le remède et l'antidote

Penchons-nous aujourd’hui sur deux albums qui méritent notre attention. Si le format de ces deux albums est quasi similaire, bien des aspects diffèrent – si ce n’est le plaisir que j’ai eu à lire les deux ! -.

« La Belle Mort » (éd.Ankama) est la toute première production d’un jeune auteur grenoblois : Mathieu Bablet. En quelques mots, l’intrigue est brossée : la fin du monde, bon, ben on y est… Des insectes venus de l’espace ont éradiqué la race humaine. Seuls quelques rescapés tentent de survivre tant bien que mal, jusqu’à une rencontre qui pourrait modifier le cours de cette courte humanité.

Rien de nouveau sous le soleil, me diriez-vous côté scénario. Certes, serais-je obligé de vous répondre, vous n’auriez point tort. Une poignée d’hommes miraculeusement indemnes, entourés d’un danger létal, qui plus est surnaturel, un monde dévasté, une civilisation anéantie… Des récits comme cela, on en a des pelletés chaque mois. Des bons et des mauvais.

Là, on est dans le bon. Tout d’abord, parce que ce jeune auteur ne lésine pas à la tâche, son dessin très anguleux, très « graphiques », très… personnel rentre en résonance avec ce monde crépusculaire, où l’espoir n’est plus de mise. Ses décors urbains, ses immeubles éventrés, sa ville est un personnage en soi, mourant mais bien présent (et quelqu’un qui dessine autant de fenêtre ne peut pas être foncièrement mauvais !!!).

Et cette atmosphère, ces personnages campés sur des archétypes sans être (trop) stéréotypés, là, il y a quelque chose qui s’insinue petit à petit à la lecture, qui fout le bourdon (insecte-bourdon…) de manière insidieuse et nous ramène sensiblement aux questions ontologiques. Bien que cela n’est rien à voir, j’ai retrouvé les mêmes ambiances que les premiers « Lain » et « Wind of Amnesia« .

Bon et puis, je l’avoue et je l’assume, je suis curieux sur ce qui touche au parkour… en tant qu’observateur, bien sûr. C’est pour cela, entre autre, que j’avais apprécié « En sautant dans le vide » (éd.Dargaud).

A l’issue de « La Belle Mort », on n’est pas nécessairement dans un état d’euphorie, bien au contraire. Heureusement, il y a la parade : « Le Viandier de Polpette » T.1 L’Ail des Ours de Julien Neel et Olivier Milhaud (éd.Gallimard).

Voilà un album réjouissant, qui met de la bonne humeur dans votre quotidien. Dans un monde fictionnel introduit très efficacement dans les premières pages, la petite auberge « Le Coq Vert » vit en marge des remous du reste de la société. Tenant à la fois du féodalisme du moyen-âge et d’éléments propres au début du XXème siècle, ce monde apporte une originalité appréciable et pas « tape à l’œil ». Le seigneur du lieu, le baron Fausto, est l’héritier du royaume mais pour des raisons de sécurité, il a été éloigné enfant de la guerre et des machinations d’alcôves. Il a pu grandir et s’épanouir dans le petit domaine de chasse qu’il a transformé en auberge. Entre les murs du Coq Vert, c’est toute une petite communauté qui s’affaire, avec simplicité et bonheur : le cuisinier Polpette, Alméria, les clients indéboulonnables, les furets… Et lorsque l’annonce de la venue du père de Fausto (qu’il n’a pas vu depuis ses 7 ans) arrive jusqu’au Coq Vert, c’est l’effervescence ! Comment réagir face à un père à la fois roi et inconnu ? Et surtout que préparer à manger ?!

Quel plaisir de retrouver le dessin si doux et efficace de Julien Neel, le papa de Lou, dans une série si innovante ! Olivier Milhaud nous mitonne également un très bon scénario où les relations esquissées ou explicites entre les personnages ( Fausto et son tuteur, Polpette et Alméria,…) sont un délice à apprécier avec lenteur, saupoudré d’une dose d’humour et d’émotion et bien sûr agrémenté de quelques recettes de cuisine qui surgissent de manière inattendue.

Donc de ce viandier (recueil de recette de cuisine), j’adhère et j’en reprendrai bien une part !!!

 

Seiyar, si tu savais…

Le deuxième tome de « Saint Seiya Next Dimension » est arrivé sur nos beaux étals… Pour tous ceux qui ne sont pas des aficionados, il s’agit d’une nouvelle série dérivée des « Chevaliers du Zodiaque« .  Ainsi, à la série-mère « Saint Seiya » scénarisée et dessinée par Kurumada, se sont au fil du temps ajoutées « Saint-Seiya G« , « Saint Seiya Lost Canvas » et donc celle-ci.

L’intrigue se situe chronologiquement après la guerre contre le dieu Hadès, les derniers tomes de la série-mère. Cependant, de nombreux flashbacks renvoient le lecteur deux siècles auparavant, lors de la dernière guerre des dieux. On retrouve ainsi des personnages qui tiennent la vedette dans les pages de « Saint Seiya Lost Canvas », notamment Alone, l’incarnation d’Hadès d’alors.

Ce spin-off ou séquelle, selon le point de vue, est réalisé intégralement par le créateur de la saga Kurumada… Et voilà le drame. Car soyons honnêtes, si au milieu des années 80 les Chevaliers du Zodiaque ont connu le succès que l’on sait, notamment, dans nos contrées, c’est essentiellement grâce à la série télévisée dont le design était un peu plus élégant que l’œuvre originelle. Les dessins de Kurumada étant… simples. Et comme tous les enfants de mon âge, j’étais fan de la série.

Alors, objectivement, y a-t-il un intérêt intrinsèque à cette série ? Est-ce le poids de la nostalgie, le plaisir de retrouver des idoles jadis vénérées, qui nous poussent à continuer ?   Là, en l’occurrence, oui. Car, après les notes d’espoir avec les dessinateurs Okada et Teshigori, le retour du maître Kurumada n’annonce pas une quelconque modification de son style. Les couleurs (oui le manga est entièrement colorisé) ne sont vraiment pas un cadeau et l’intrigue demeure toujours très linéaire et prévisible. Et surtout, surtout, ce ù**$=)** de Seiyar a encore le beau rôle !

Alors quoi ? C’est nul ? Et bien aveuglé sans doute par les larmes du passé, non.  On se laisse avoir, on le lit… et on aime. -sigh-

Bras de fer

Il est assez rare que l’on ait à se battre entre nous trois (vos trois libraires préférés, Romain, Gérald et moi-même) pour réaliser une chronique d’album. Chacun ayant ses centres d’intérêts, ses sensibilités, etc.  Cependant quand c’est le cas, c’est vous dire à quel point on est enthousiaste sur ces albums !

Et ici, j’ai dû me battre avec Romain et Gérald pour le « Montreur d’Histoire » de Zidrou et Raphaël Beuchot. C’est Romain qui a gagné ! Donc je ne vous dirai pas que cet album est extraordinaire, que pour moi c’est l’histoire de l’année, que les autres peuvent se rhabiller : on a trouvé le prix d’Angoulême. Non, je ne pourrai pas vous dire que le récit est fin, intelligent, émouvant, que la narration allusive (on casse le « 4ème mur ») est particulièrement pertinente. N’insistez pas, Romain se chargera de vous dire combien les récits non-humoristiques de Zidrou sont touchants. Non, non, encore une fois non, je serai muet comme une tombe sur l’osmose réussie  dessin/histoire de cet album. Allez donc lire sa chronique.

Bon, après cette petite prétérition sournoise, me voilà à parler de « Catalyse » que j’ai remporté de haute lutte auprès de Gérald, cette fois-ci. Ce one-shot de Pierre-Henry Gomont aux éditions Manolosanctis fait partie de ces albums qu’aiment les libraires : le petit bouquin que l’on n’attend pas, qui se laisse lire d’une traite et pour lequel on se dit « ouf, celui-là j’ai bien fait de ne pas le laisser filer !« . Lionel travaille pour un cabinet financier, il est envoyé dans une entreprise en province pour réaliser un audit. Sauf que Lionel, c’est de l’eau tiède : pas réellement motivé, pas réellement compétant, pas réellement adulte, il mène sa vie plus par défaut que par conviction, voire même que par action.  Sauf que son vide intérieur, professionnel, personnel intellectuel (?), au bout d’un moment rien ne viendra le cacher. D’autant plus qu’un certain Simon, de la même boîte financière, vient le seconder dans son travail. Ce dernier, au passé trouble, va révéler ses failles… et celles d’autres personnes également ! A la fois thriller et chronique sociale, cet album mérite d’être sur votre table de chevet.

Voilà sinon, en vrac, « Love » (Frédéric Brremaud,  Federico Bertolucci, éd. Ankama). C’est beau, c’est très bien dessiné, c’est fluide, c’est « zoologiquement » parlant très chouette. La question qui vient ensuite c’est « Pourquoi ? » ou plus tôt « Pour quoi ? ». Mais bon, je suis content d’être libraire pour lire ce genre d’albums… sans les acheter.« Yerzhan » T.1 (Hautière, Efa, éd.Delcourt), un album de mise en place sans prétention mais qui fonctionne. A surveiller pour la suite….

Et puis Fraternity bien sûr (Canales, Munuera, éd.Dargaud)… Mais ça vous le saviez déjà, non ?