Premier degré et seconds tomes (voire trois)

501 LETTER 44 T01[BD].inddAprès des reportages et des enquêtes, des histoires aux scénarios alambiqués, après une longue journée de conseil, j’ai parfois besoin de lectures « primaires ». C’est-à-dire avec des enjeux clairement établis, sans faux semblants ni effets de styles, avec une narration et une intrigue sans atermoiements ni fioritures. Simples en définitive mais attention, pas simplistes. Bref parfois, j’ai besoin d’un divertissement sans rien avoir d’autres à chercher que ça.

Par conséquent, j’ai abordé ces trois ouvrages sous cet angle-là : un plaisir direct, sans jugement, mais qui vous attrapent avec honnêteté. Et puis au-delà de la surface, petit à petit, plein de thématiques, de subtilités prennent du relief et inscrivent ces BD mainstream dans des lectures malines.

Commençons par Letter 44 de Charles Soule et Alberto Jimenez Alburquerque aux éditions Glénat Comics. Ah, Glénat Comics, elle a bien eu du mal à s’imposer cette collection et encore aujourd’hui, sa position est fragile. Après quelques tentatives véhémentes et désorganisées de s’imposer entre le taulier Panini et le rising star Urban, la ligne US de Glénat semblait compromise. L’arrivée d’Olivier Jalabert et Jean-David Morvan a redistribué les cartes : recentrage de la ligne éditoriale, proposition de titres variés (bien que discutables), maquette revisitée dans une sobriété blanche immaculée (face au noir élégant de Urban qui en son temps avait tranché avec la présentation Panini). Bref les outils sont là, ne restent plus qu’ trouver les bons titres et les lecteurs qui vont avec ! Et donc, on revient à Letter 44.
501 LETTER 44 T02[BD].inddAutant le dire tout de suite, ainsi nous n’y reviendrons plus. Oui, il faut se faire violence pour rentrer dans cette série, tant le dessin est laborieux, difficile, maladroit, parfois obstruant la lisibilité de la page. Ce n’est pas par ce biais-là que je vais pouvoir vous en vanter les mérites. Encore que dans ce deuxième tome cela s’améliore. Non, il s’agit du scénario qui, une fois accepté le postulat de base, vous tient en haleine. Une lettre du président des USA sortant attend le nouveau locataire de la Maison Blanche. Ce dernier, fraîchement investi, découvre avec stupeur que des activités extraterrestres ont été repérées dans notre système solaire, qu’une énorme machine à l’usage inconnu est en construction et qu’aucune information fiable n’est parvenue jusqu’à nous. Ainsi, toutes les décisions va-t-en-guerre de son prédécesseur n’étaient que de l’entraînement pour les militaires et la création d’un nouvel arsenal ! De plus, un équipage mixte scientifique-militaire est en route depuis quelques années pour obtenir des renseignements clairs sur la volonté des extraterrestres. Voilà donc un candidat élu sur un programme social, pour ses prises de position en faveur de l’éducation, sur l’emploi ou l’économie qui se retrouve avec une « patate chaude » qui le dépasse ! En parallèle, le voyage spatial de l’équipe à la rencontre des aliens hostiles ou indifférents montent en intensité au fur et à mesure que les détails se dévoilent…
La sortie du T2 a confirmé mon opinion sur cette série : j’ai apprécié le ton, l’intrigue, les rebondissements, le côté très hollywoodien et en même temps pertinent et vraisemblable. Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec la série TV 24h chrono. Ici aussi, on alterne entre les décisions du président des USA et ses dimensions humaines à portée internationale, entre les spationautes confrontés à des dangers immédiats, entre les intrigues et ambitions d’alcôves (toujours justifiées par la raison d’état) avec ses coups de théâtre démesurés (mais après tout on a la bombe, non ?) et ses méchants « méchants » même au sein du dispositif gouvernemental.
Letter 44 est donc à découvrir et à apprécier pour ce que c’est : du très bon divertissement.

501 LAZARUS T01[BD].indd501 LAZARUS T02[BD].inddSecond titre à se démarquer dans ce tout nouveau catalogue Glénat : Lazarus de Greg Rucka et Michael Lark, deux auteurs au talent indiscutable et à la bibliographie en or massif (Whiteout, Gotham Central, Daredevil et tant d’autres et en ce moment Star Wars !). Dans un monde dystopique, que ne renierait pas tout amateur de cyberpunk, ravagé par les inégalités sociales, la famine, la pauvreté et autres réjouissances du même ordre, les gouvernements sont morts écrasés par leurs échecs. Mais ici à la place des « corpos », on trouve les familles, des groupes éhontément riches qui règnent sur des portions du monde, octroyant les miettes de leur pouvoir et de leur technologie à leurs affidés, leurs déchets à ronger à leurs serfs et une mort lente dans le désintérêt le plus total à tous les autres. Pour se divertir, bien sûr, on ambitionne de faire mains basses sur les ressources de la famille voisine et on lorgne sur de nouvelles alliances, le tout en gentlemen agreement avec des règles et des protocoles dûment inscrits pour éviter que l’on se saute à la gorge. Parmi ces protocoles, chaque famille possède un individu, surnommé Lazarus, chargé d’en assurer la protection, contre toute forme de danger, physique, économique ou diplomatique. Un esprit sain dans un corps surboosté donc pour réussir cet objectif. L’héroïne de l’histoire est Forever le Lazarus de la famille Carlyle.
501 LAZARUS T03[BD].inddComme dans tout bon drame, le cadre est déjà posé lorsque le lecteur découvre l’histoire, nul besoin de prendre le temps de l’évoquer en détail car nous sommes à un moment où tout va basculer. Forever remet en cause sa place et ses liens avec sa famille. Le ver est dans le fruit et donc toutes ses actions à venir portent le poids de la suspicion et du doute. Dès lors, le lecteur a tout loisir de découvrir par comparaison ce qui devrait être le cadre normal en même temps que le cadre avec ses inconstances. Avec plusieurs chapitres plus ou moins autonomes mais répondant d’une trame globale, Greg Rucka nous propose une montée crescendo dans l’urgence : incursion de territoire, menace d’attentat, échange d’otage et négociation inter-clans, autant de moment où les failles de Forever vont apparaître. Et où l’histoire va être envoûtante ! Le dessin réaliste et minimaliste de Mickael Lark, aux couleurs poussiéreuses et grises participent grandement à la qualité de cette série. Avec sobriété, il laisse entrevoir toute la puissance physique du Lazare, son extrême beauté mais aussi sa fragilité. Il donne également une crédibilité à ce monde qui n’est pas si éloigné du nôtre.
Avec ces deux titres principalement, Glénat Comics jouent des coudes et arrivent ainsi à trouver sa place sur un rayonnage comics largement surchargé.
the-activity-tome-1Pour finir sur une transition aisée, je vous rappelle que Greg Rucka a scénarisé l’excellente série Queen & Country, traduite aux éditions Akileos où nous suivions dans ses différentes missions une cellule du MI6, intervenant aux quatre coins du monde pour le compte de la couronne britannique. J’ai retrouvé (presque) le même plaisir à la lecture de The Activity, de Nathan Edmonson et  Mitch Gerads aux éditions Urban Comics narrant les exploits clandestins d’une cellule de la Intelligence Support Activity. Qu’est-ce que le ISA ? Une unité militaire américaine bien réelle bien qu’officiellement dissoute chargée de collecter des informations pour des missions spéciales, de préparer le terrain pour d’autres corps et enfin éventuellement « nettoyer » les boulettes des autres services. Extrêmement précis et bien documenté, le scénario d’Edmonson met l’accent sur l’action, le stress de l’accomplissement ou de l’échec de la mission tout en mettant en arrière-fond la géopolitique qui sous-tend les décisions stratégiques des supérieurs. Comme pour Lazarus, un artifice (bien connu) permet de faire rentrer le lecteur dans le quotidien de cette troupe : le remplacement d’un membre mort en mission par une jeune recrue facilite la maîtrise de l’univers. Là encore j’ai pris un plaisir primaire, décérébré peut-être me direz-vous, à lire ces aventures martiales où l’on frémit lorsque les balles volent dans la nuit, que la couverture aérienne est compromise ou que l’ennemi vous a débusqué.

 

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Mais après tout, j’assume !
Et vous ?

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