Pousser ou grandir

– après R.Silverberg –

Les chroniques sociales ou les comédies de mœurs ont une saveur différente lorsqu’elles nous viennent d’outre-atlantique. Elles fleurent l’exotisme américain, pourtant si familier grâce aux séries TV, films et autres comics dont nos générations se sont abreuvés. Elles parlent des spécificités new-yorkaises, de l’air du temps des grandes villes, de la société contemporaine américaine. Et pour les plus réussies, avec cette touche d’humour et d’ironie qui en pimente l’intérêt. Toutefois, malgré cet estampillage US, la plupart du temps, ces tranches de vie sont universelles. Le lecteur français y trouvera autant que dans un « M.Jean« , un album de Christopher, Peyraud ou même Jim. Elles abordent la vie avec ses complexités, ses choix, ses joies et son inéluctable évolution.

 

Le retour dans nos librairies françaises d’Alex Robinson, auteur du dense jouissif « De Mal en pis » (éd. Rackham), me permet de remettre en avant trois titres qui comme dirait ce bon vieux Mark Knopfler illustre « the walk of life ».

new york four 1new york four 2Avant de rentrer de plain pied dans la vie adulte, pour certains d’entre-nous, il y a la case « étude » « université » et/ou « coloc' ». Sortie l’an dernier aux éditions Urban, « The New York Four » se focalise sur cette période charnière où tout se joue, les amitiés comme les décisions. Brian Wood, pour honorer le contrat le liant à l’éphémère collection « Minx » de DC destinée à un public féminin, avait décidé d’évoquer son amour pour New York, sa vie nocturne, sa jeunesse, son dynamisme, à travers la colocation de quatre jeunes femmes. Avec chacun des protagonistes, nous en arpentons les rues, nous nous grisons dans ses concerts et nous sommes impressionnés par ses buildings. Cet amour quasi viscéral, charnel pour la ville et ses habitants, nous pouvons le retrouver dans une de ses séries phares : « DMZ » en compagnie du même dessinateur Ryan Kelly. Ce dernier, avec une grande acuité, nous apporte grandeur dans les décors et humanité dans
les personnages, il capte le pouls de la ville et les battements de cœur de ces jeunes filles.

new york four 3Elles sont quatre, atypiques et profondément attachantes, révélant leur personnalité au fil des pages. Ren, Lorna, Marissa et Riley, la narratrice, sont les archétypes de ces jeunes adultes qui au contact des unes les autres mais aussi de la Ville vont se révéler à elle-même et aux autres. Prise de confiance, prise de conscience également, certaines vont apprendre à connaître une sœur, d’autres à s’affirmer… B.Wood et R.Kelly n’oublient pas également de rythmer l’intrigue par quelques rebondissements tels que ce mystérieux interlocuteur qui laisse des messages à Riley ou la rencontre d’Olive qui squatte l’immeuble. Ce récit complet, dont la fin a été un peu précipitée pour des raisons éditoriales, se lit avec beaucoup de plaisir et de simplicité…

 

cute 1Après les études, viennent les premiers jobs, les rencontres amoureuses un peu plus sérieuses et la confirmation (ou pas) que nos premiers choix n’étaient pas les mauvais. Dans « The Cute Girl Network« , paru aux éditions Glénat, Greg Means, MK Reed et Joe Flood nous content une petite histoire sans prétention abordée avec humour et décalage.  Jack, bien que mignon et touchant, est le parangon de la maladresse, sous toutes ses formes. Entre ses mains, tout objet devient dangereux et son absence de filtre social le place dans des situations où il peut blesser l’amour-propre d’autrui ou paraître pour ce qu’il n’est pas. Sa nonchalance et sa candeur, en plus d’une soupe gratuite (Jack est vendeur de soupe ambulant) ont fait craquer Jane. Jane, elle-même, ne rentre pas dans les cases. Vendeuse dans un magasin de skate-board, skateuse douée, elle doit se battre quotidiennement pour exister dans ce milieu quasi exclusivement masculin. Le coup de foudre est assuré pour ce couple si étrangement assorti. Sauf que Jack a un passé amoureux et Jane des amies bien pensantes. Tout un réseau d’ex vont la mettre en garde contre le péril Jack… La force de ce récit est la détermination de Jane dans toutes les situations que ce soit dans ses engagements féministes à son échelle, la tendresse qu’elle porte à son copain ou son refus du diktat de bienséance amoureuse de « ce-qui-est-bon-pour-toi-que-tu-ignores-encore ». Pris dans l’air du temps, cette petite histoire apporte sa modeste contribution à casser les codes.

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robinsoncouvrobinson2Inéluctablement, vient le moment où la quarantaine arrive : la bande de potes s’est assagie, les couples sont à présent des familles et l’heure du bilan a sonné. Tout ceci, Alex Robinson dans « Notre univers en expansion » (éd.Futuropolis) nous l’assène avec un réalisme teinté d’humour un brin désabusé. Après avoir exposé les affres et les joies de la trentaine à New York dans « De Mal en pis » et ses deux mini suites, il prolonge sa réflexion sur notre société 12 ans plus tard. Scotty et Ritu ont un enfant et en attendent un deuxième, Bill et Marcy sont en couple depuis longtemps et la question de l’enfant se pose, quant à Brownie, sa vie de célibataire lui convient bien ou tout cherche-t-il à le faire croire. Telle est la situation de départ.

robinson5Toutefois entre les reculades de Bill sur la paternité, la pression parentale pour avoir des petits-enfants ou les réunions de famille et leurs mesquineries et luttes larvées, le couple de Bill/Marcy sent que l’on attend encore plus d’eux. On pourrait penser qu’heureusement l’amitié, elle, est indissoluble mais se serait minimiser l’importance de choisir son camp entre sa femme ou son pote. Comme dans « The Cute Girl Network », le lecteur est amené à se demander ce qui est indissociable et capital dans un individu et la relation que l’on entretient avec lui, en opposition à ce qui fait partie de l’erreur, de l’accident de parcours qui ne devrait pas (ou peu) remettre en cause le jugement et les sentiments que l’on avait à son égard jusqu’ici. Le personnage de Brownie est riche puisqu’il est à la fois le plus immature, le plus fou et en même temps le plus lucide sur les difficultés de ses amis et de la vie en général. « Notre univers en expansion » brosse toutes les facettes de ce que l’amitié a à nous offrir lorsqu’on est à un âge où la maturité sereine tarde à venir.

 

Voilà donc trois chroniques sociales américaines, trois romans graphiques en N&B, trois approches de notre quotidiens qui sont des reflets, déformés certes, mais enrichissants que je vous encourage à découvrir.

 

 

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