Le Côté obscur de la politique

[J’ai commencé à écrire cette chronique avant les événements parisiens de ce week-end. La tentation a été grande de ne pas l’achever, craignant les amalgames et l’évocation d’une violence (directe ou indirecte) dont on n’avait guère l’envie d’évoquer de sitôt. Mais, en définitive, j’ai décidé de finir de l’écrire mais également de la publier. Car la qualité de ces œuvres ne s’est pas amoindrie au contact de ces attentats et quoiqu’il en coûte un regard incisif sur notre passé et sur ses conséquences ne pourront que mieux nous éclairer sur notre présent.

Tout au moins, c’est ce que je nous souhaite…]

 

cherpaysTrois albums, chacun à sa manière, mettent un coup de projecteur sur des périodes sombres de la politique française. Politique des générations précédentes mais également de notre futur hypothétique proche. Et il ne se serait pas totalement aberrant de considérer que tout ça forme un tout, collant, pesant, nauséabond…

A tout seigneur, tout honneur, nous démarrons avec « Cher pays de notre enfance » de Benoit Collombat et Etienne Davodeau signé aux éditions Futuropolis. Les deux auteurs, le premier célèbre journaliste d’investigation, le second qui n’a plus rien à démontrer dans sa maîtrise de la BD-documentaire, enquêtent sur les affaires criminelles des années 1970 extrêmement chevillées au pouvoir en place, qu’il soit « pompidolien » ou « giscardien ». En toile de fond se dessine le rôle majeur du SAC (Service d’Action Civique), véritable milice privée aux ordres du parti gaulliste, flirtant impunément avec le milieu criminel tout autant qu’avec les cercles politiques influents. Les deux auteurs mettent en exergue trois événements marquants : les braquages du Gang des Lyonnais de 70 à 74, l’assassinat du juge Renaud en 1975 et le pseudo suicide du ministre Robert Boulin en 1979. Pour Benoit Collombat, l’implication du SAC et à travers lui de certains membres de l’exécutif ne fait aucun doute. Et cela fait froid dans le dos. Cette thèse est soutenue et étayée par un long travail d’enquête préalable, dont nous ne voyons que la partie émergée, mais également par une succession d’entretiens et de témoignages de protagonistes, voire d’acteurs majeurs de l’époque. Magistrats, hommes politiques, policiers, … tous apportent leurs preuves, aveux ou démentis sur cette période dont on a oublié ou plutôt fait oublier la violence.

cher-pays-de-mon-enfance-2Avec l’efficacité qui le caractérise, Etienne Davodeau nous fait plonger dans cette enquête avec aisance ; il précise lorsque c’est nécessaire, il illustre lorsque le dynamisme se relâche. Jamais, le lecteur ne se sent envahi par un flot d’informations, il se sent au contraire pris par la main de ce dessinateur qui cherche lui aussi à savoir, à comprendre. Malgré la noirceur des situations, Etienne Davodeau trouve toujours le moyen d’enlever un peu de pression avec quelques pointes d’humour (notamment avec G.Collard) et un dessin aérien.

Cet ouvrage, dont certains chapitres avaient été prépubliés dans la Revue Dessinée, mérite amplement le temps que vous allez lui consacrer car il lève le voile sur une génération de malfrats et/ ou de politiciens, dont certains ne viennent de se retirer que depuis peu…

 

501 UCT - UNITE COMBATTANTE TRUDAINE[BD].inddRestons dans les Années de Plomb propre à la France avec « Unité Combattante Trudaine » de Sylvain Ricard et Rica aux éditions Glénat. Ne malmenez pas votre encyclopédie ou ne maudissez pas Wikipedia : ce groupe révolutionnaire n’existe pas. Ou tout au moins pas ainsi. Le scénariste, également rédacteur en chef de la Revue Dessinée, s’est inspiré de tous les mouvements radicaux de l’époque pour composer cette équipe fictionnelle. Comme Action Directe, les Brigades Rouges ou encore la Fraction Armée Rouge, dont ils se revendiquent, les jeunes de l’UCT veulent viser des cibles politiques majeures ou des représentants du pouvoir impérialiste. Du terrorisme ciblé et porté par des idéaux, loin donc du terrorisme aveugle et religieux de notre génération. Toutefois, ces actions sanglantes se doivent d’être réprimées, empêchées par tous les moyens. Par conséquent, les Renseignements Généraux dépêchent une de leurs jeunes recrues pour infiltrer ce groupe afin de le démanteler de l’intérieur. Toutefois, entre fidélité aux drapeaux et fidélité à un groupe (et à une femme), William va être profondément tiraillé, malgré l’horreur de leurs actes. Les auteurs nous proposent avec ce récit complet une efficace fiction très bien documentée sur cette période trouble de l’histoire de notre pays, qui n’est pas sans rappeler l’excellent diptyque « La Mano » (Pagliaro & Thirault) aux éditions Dargaud.

 

presidenteEnfin, l’ovni de ces dernières semaines : « La Présidente » de François Durpaire et Farid Boudjellal (éditions les Arènes). Le postulat de l’album est simple : Marine le Pen gagne les élections de 2017 avec une très faible majorité. Elle va donc pouvoir mener sa politique comme bon lui semble… ou presque. Les auteurs, pour mettre ce qui (espérons-le) est une uchronie anticipatoire, choisissent quelques postulats (multiplication des candidats à droite, campagne à outrance) tout à fait crédibles et vraisemblables qui permettent l’accession à la charge suprême de la présidente du Front National. Après cela, ils déroulent les premiers 100 jours de sa présidence en s’appuyant stricto sensus sur le programme déjà existant du parti d’extrême-droite.

A n’en pas douter, les deux auteurs ne cherchent pas à valider les idéaux de Marine Le Pen, ils évitent toutefois la caricature en restant dans le plausible et la mesure, en se collant à la logique de leur vision de la France… Hé bien, cela fait peur… Ce récit complet est une sorte de « on ne pourra pas vous dire que l’on ne vous a pas prévenu. A vous de prendre vos responsabilités ou de vérifier que ce que l’on dit n’est pas vrai. » Même si la petite pirouette de fin semble excessive ou que le dessin ultra photo réaliste (inhabituel de la part de Farid Boudjellal) dérangent un peu, cet album, comme les deux précédemment cités, fait mouche.

 

Ces trois bandes dessinées nous permettent de déciller les yeux et de se rappeler ce que l’on veut vraiment pour la France.

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